PublicitéQJ juin 2022
revolunionpresentation @mariejuliegascon

(Crédit: Marie-Julie Gascon)

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Révolunion: épisode 3

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Révolunion est une fiction. A moins qu’il s’agisse d’un récit d’anticipation.
Il va nous faire vivre de l’intérieur l’histoire d’une jeunesse réunionnaise prête à prendre son destin en main. Un évènement déclencheur va lui offrir cette opportunité et lui permettre d’inventer et de construire la société dont elle rêve.
Quatre voix nous racontent cette fabuleuse aventure. Quatre voix qu’un secret partagé lie à la mort, à la vie.

 

Épisode 3

TRISTAN

Je suis Tristan

Tristan de La Réunion.

D’habitude quand on a seize ans comme moi, on se définit plutôt par ce qu’on aime….Ou ceux qu’on aime. Mais je vis à La Réunion et en ce moment, c’est ma seule boussole. Une boussole aux allures de colonne vertébrale.

Bien sûr vous êtes au courant : la télé, les journaux, tout ça… Mais moi, c’est la réalité que je veux vous raconter, celle de l’histoire incroyable qu’on est en train de vivre et depuis le tout début. Le début de notre Révolution.

Je vais tout vous dire, tout. Et tant pis pour les égratignures…

Tout a commencé il y a un peu plus d’un an.

Pas mal de mouvements sociaux se déclenchaient les uns après les autres. Dans les facs et les lycées de l’île ça bougeait aussi mais sans beaucoup de coordination et les cours reprenaient toujours au bout d’une semaine maximum.

Le chômage avait augmenté d’un coup dans presque tous les secteurs et quand le gouvernement a brusquement supprimé les allocations familiales, les gens ont pensé que l’état français les abandonnait. Ils se sont sentis trahis encore une fois… La goutte d’eau, quoi …

Bref, une grève générale a été décidée, massivement suivie. Et cette fois, les collèges ont intégré le mouvement. Des assemblées ont été organisées un peu partout. Elles étaient blindées de monde pendant des semaines…Presque trois mois…Le bouche à oreille fonctionne impeccable ici et il a servi de traînée de poudre…

Vous auriez dû voir ça. C’est pas seulement qu’on a pu intégrer ces assemblées au même titre que les adultes, c’est qu’on a réussi à faire en sorte d’être écoutés et entendus.

Un marmay, une voix ! La valeur n’attend pas le nombre des années !…C’était notre mot d’ordre.

Mais même si on trouvait que notre organisation devenait super et qu’on arrivait parfois à donner des leçons de démocratie à nos aînés, on faisait du sur place avec le gouvernement français : ils ne lâchaient rien et malgré la solidarité, certains commençaient à tirer la langue.

On a donc décidé d’organiser une manif monstre.

Vingt mille personnes à Saint- Denis, presque autant à Saint- Pierre, du jamais vu !

Elle avait bien démarré mais elle ne s’est pas bien terminée. Pas de débordement à proprement parler, nous n’avons pas ça en magasin chez nous ! Juste des flics envoyés de métropole en renfort et qui sur place n’ont pas tout compris ou ont mal interprété…Résultat : ils ont complètement paniqué et s’en sont pris à un groupe qu’ils ont encerclé et gazé…Mauvaise pioche, c’était la classe de mon petit frère, des mômes de cinquième.

Après ça, plus question de rentrer chez soi ni de retour à la normale. Le soir même, de nouveaux forums de discussion ont eu lieu encore plus suivis et mieux structurés.

Quel souvenir !

Dans celui de Saint- Pierre tout le monde parlait en même temps. Les idées fusaient mais il y avait beaucoup d’émotion aussi. A un moment, le représentant des jeunes agriculteurs est intervenu pour rappeler une position qu’il n’était pas le seul à défendre et qui revenait régulièrement à la surface : on reparlait sérieusement d’indépendance. Quitte à ne plus rien recevoir de la métropole, autant s’en détacher.

Mais ce genre d’intervention suscitait toujours les mêmes réserves. C’était facile de décréter l’indépendance politique, beaucoup moins de savoir si nous en avions les moyens et si l’économie suivrait. Et puis derrière, pointait la crainte d’arrière-pensées…

Alors Anita a lâché sa bombe.

Anita, c’est mon amie et un peu ma sÅ“ur. Mon alter ego, quoi, mais en mieux. C’est marrant… Quand elle parle, Anita, les mots des autres sont aspirés par ses beaux cheveux rouges, les tâches de son illuminent son visage de yab des Hauts et on l’écoute, forcément. Elle a une âme de meneuse avec une force de conviction incroyable. Dans notre petit groupe de potes, c’est le leader, j’ai pas honte de le dire même si d’autres pensent qu’elle est un peu écrasante. Je pense que des gens comme elle sont nécessaires et font bouger les choses, la preuve…

–  On ne le saura jamais ! On ne saura jamais si on peut y arriver, à moins d’essayer. C’est la seule solution. Et décréter l’indépendance n’y suffira pas. Il faut fermer les frontières aérienne et portuaire. Attention…Pas pour un repli sur soi, pour un rejet de l’autre, mais pour essayer vraiment, pour mettre en pratique toutes nos idées, pour nous coltiner à la réalité, pour ne pas être tenté de faire demi-tour à la première difficulté, pour la dépasser et pour faire turbiner notre machine à imaginer… Si on ne le décide pas tous ensemble maintenant, on ne le fera jamais mais ne comptez plus sur tous les jeunes pour continuer à parler dans le vide… Et d’ailleurs, on est au bout de ce qu’on pouvait bricoler avec votre vieux schéma, pas vrai ?… Vous voulez pas qu’on laisse tomber ces ruines et qu’on la reconstruise, notre nouvelle société ? Alors, on retourne sagement au boulot ou on la fait, notre Révolunion ? 

Et puis elle a offert sa main ouverte qu’est venue taper une autre, puis une autre et encore une autre.

Je crois bien que tout le monde a été touché ce soir-là, ou presque.

 


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