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« L’Arbre » de Mathilde Villey (chapitre 3)

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« L’Arbre » de Mathilde Villey, 13 ans, a remporté le 1er prix du concours d’écriture Imazine de l’association Lilomots dans la catégorie « individuel » 9-13 ans. Retrouve le dernier chapitre demain soir sur notre site et les chapitres précédents dans la rubrique « Imazine ».

Chapitre 3

J’écarquille les yeux en comprenant soudain ce qu’était la boule de plumes que nous avions débusquée, et qui indirectement nous avait menés jusqu’ici.
Suis-je en train de rêver ? La magie n’existe pas. Dans quoi me suis-je donc embarquée ?

La cérémonie se poursuit, mais les femmes semblent peiner davantage. Des larmes coulent sur leurs joues, elles sont blêmes et cherchent leur souffle.
Je serre les poings en me souvenant que je n’ai rencontré qu’une des trois nymphes dans la pièce-falaise.
Comme en écho à mes sombres pensées, la brune aux yeux bleus s’effondre telle une poupée de chiffon. Me précipitant vers la frêle silhouette, je tente de la toucher, mais mes mains la traversent.
C’est un souvenir, on ne peut pas le changer.
Je retiens un sanglot en apercevant la blonde aux iris gris orageux gémir avant de tomber à son tour.
Après avoir partagé leurs émotions, les voir mourir me bouleverse.

La métamorphose touche à sa fin et la rousse au regard vert ouvre les yeux ; l’apaisement se lit sur son visage.
Les nymphes ont expié leur crime en permettant aux esprits de fouler à nouveau le sol, en leur offrant une seconde forme pour arpenter la terre. Les deux sœurs ont donné leur vie pour les ramener. Leur vie, en échange de celles des innocents tués. Une mort noble.

Je suis à nouveau aspirée par un tourbillon, et me retrouve dans la grotte, la dernière des nymphes en face de moi.
Une question me taraude : comment se fait-il que personne n’ait jamais vu les oiseaux ? Cinquante volatiles multicolores ne passent pourtant pas inaperçus.
Je pose la question à la divinité, qui semble comprendre ma langue sans pour autant la parler.

Me prenant la main, elle m’entraîne vers un coin de la caverne où se trouve un escalier en colimaçon. Il y a plusieurs étages !
Évidemment, la falaise est si haute que l’on peut sans peine y loger trois ou quatre niveaux.
Trottinant, la rousse me guide au plus haut d’entre eux, une chambre. La chambre la plus stupéfiante qu’il m’ait été donné de voir au cours de mes quatorze années de vie.
Trois murs sont couverts de végétation, de lichens, de lianes et de fougères, des orchidées aux motifs fabuleux s’y accrochent : blanches et mauves avec un cœur noir, orange et jaunes piquées de bleu, indigo à traits verts et roses.
Le quatrième mur est la cascade, qui permet à la pièce d’être éclairée. Une grosse moitié de bambou, surélevée pour plus de confort, fait office de vasque.
Le sol est un tapis de mousse, de tous les tons de brun et de vert. La femme me fait signe de retirer mes chaussures et je m’exécute. Sous mes pieds, la mousse est fraîche et douce. C’est tellement agréable !

Contre le mur du fond il y a un lit aux draps couleur crème, et une étagère. Sur l’étagère repose un tableau qui représente un œil peint à l’aquarelle.
La nymphe rousse le pointe du doigt en souriant faiblement.

C’est un œil aux longs cils noirs et à l’iris gris-bleu.
Dans la pupille est représentée une balance, avec d’un côté une personne calme au regard lointain. Elle a les mains en coupe et les lèvres entrouvertes, comme si elle murmurait quelque prière. Son cœur a été dessiné dans ses paumes, et de manière disproportionnée ; rouge sang, il paraît battre pour le monde.
Du côté opposé se trouve une figure aux yeux injectés de sang, la bouche tordue en un rictus malveillant. Ses mains sont levées au-dessus de sa tête ; griffues, elles tentent de saisir un cœur rose pâle.
Au centre de la balance se trouve un oiseau superbe. Il a cinquante plumes, chacune d’une nuance différente. Cinquante plumes immenses et colorées.
Les plateaux de la balance penchent vers la paisible âme qui a décidé d’offrir son cœur aux autres.

Je regarde à nouveau la femme :
« Seuls les gens au grand cœur peuvent voir les oiseaux-esprits, c’est ça ? »
Elle acquiesce doucement.
« A part toi et moi, y a-t-il quelqu’un qui connaisse leur existence ? » questionnai-je de nouveau.
La divinité secoue fermement la tête.
Comprenant les grandes responsabilités qui pèsent désormais sur mes épaules, je ressens le besoin de m’asseoir et de fermer les yeux.

Quand je les rouvre, j’ai décidé de ce que j’allais faire.


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